« Mystérieuses flexions qui nous donnent la lumière ou nous précipitent du côté de la force obscure ! »
Le cheval partenaire est un Lusitanien de 13 ans, Maestro, qui, en date des photos, est travaillé depuis trois mois. Maestro présente un lourd passif, il a connu l’arène et sa bouche est « détruite » au titre de la légèreté ; il n’a connu que les mors espagnols, et a été « placé » à l’aide de fils de soie (invisibles au public) qui reliaient son bout du devant au poitrail. En conséquence, le cheval n’est pas dressé, ni assoupli, et sa confiance en l’homme assis sur son dos est inexistante. Il refuse d’aller à main droite, entre en tourbillons frénétiques et se pointe à volonté.
Comme l’a qualifié une de mes amies, éleveur de chevaux, ce cheval est « un rétif de chez rétif », et la faute en revient, évidemment, à l’humain.
J’ai décidé de reprendre Maestro à la longe afin de le « codifier » et de l’assouplir dans son ensemble ; en même temps, j’ai commencé le travail de flexions à pied, et monté, au pas.
Je tiens à préciser qu’au moment de prendre les photos qui illustrent mes propos, soit trois mois de rééducation, Maestro est relativement exploitable aux deux mains au pas et au trot, mais il reste un cheval particulièrement délicat, et potentiellement violent ; il ne pardonne rien, se délite souvent… En d’autres termes, le calme est un paramètre éminemment variable.
Maestro est le cheval le plus difficile qu’il m’ait été donné de travailler. Il me place aux limites extrêmes de mes modestes compétences.
Les flexions présentées sont les flexions de base ; elles suffisent souvent à obtenir le consentement du cheval. Elles ont considérablement fait progresser Maestro.
Toutes les photos ont été réalisées en une seule séance, le dimanche 21 janvier 2007.
J’attire l’attention du lecteur sur le caractère nocif des flexions si elles sont mal exécutées. Je précise que mon travail est conforme à celui de Charles RAABE, enrichi des avertissements du Gal DECARPENTRY. En conséquence, je ne fais pas reculer le cheval par les flexions et la conquête du mouvement en avant est un préalable absolu, dont l’acquis est vérifié à chaque début de séance.

Photo 1
Cet exercice a pour objectif d’éduquer le cheval à tenir une position « haute » de l’encolure ; ce qui est recherché n’est pas l’appui du cheval sur son mors, mais l’acceptation par lui d’un contact délicat en position haute ; en outre, le cheval apprend à tolérer le mors de bride, neutre dans sa bouche puisque la force appliquée sur le mors de filet s’adresse à la commissure des lèvres, en direction des oreilles du cheval ; la langue est laissée libre de jouer avec le mors de bride. Il n’y a aucune recherche de ramener (flexion de nuque) ce ramener étant considéré comme un état qui viendra au fur et à mesure que l’assouplissement général du cheval sera amélioré. Le ramener, tel que je considère, est une conséquence du rassembler, et non un préalable.
Il faut veiller à n’opposer au cheval que l’appui qu’il propose ; au moindre signe de consentement du cheval (le poids dans les mains disparaît) il faut rendre des doigts sans modifier la position de l’encolure, et reprendre une pression des doigts si le cheval s’appuie à nouveau. De petites vibrations sur les deux anneaux génèreront un début de mastication des mors, un signe positif étant que le cheval pousse sa langue vers ses incisives (photos 2 et 4), ce mouvement s’accompagnant bientôt d’un début de salivation (bouche fraîche) ;

Photo 2

Photo 4
Comme toujours, savoir ne pas demander trop, ni trop longtemps.
Le plus grand danger est l’acculement sournois (report de la masse en arrière des aplombs) ; il est en revanche facile d’éviter le mouvement rétrograde.
J’attire l’attention du lecteur sur le fait que de grands maîtres font reculer les chevaux dans cette flexion ; je ne suis probablement pas suffisamment expert pour me risquer à cet exercice, et les chevaux dont je dispose trouveraient là matière à quelque mauvais apprentissage.
De ce travail il devrait toujours s’ensuivre la recherche d’abaissement, à défaut d’extension, de l’encolure (photos 3 et 5.) Tout cheval qui refuse l’abaissement de l’encolure après cette extension manifeste une crispation ; l’exercice n’est pas abouti. Cet abaissement s’obtient en exerçant une traction progressivement croissante sur les montants du filet, sans jamais porter atteinte à la bouche. A la moindre cession du cheval, rendre. Féliciter chaudement.

Photo 3

Photo 5
Il faut noter que cet abaissement (et bientôt, extension) deviendra un réflexe et le cheval le cherchera après chaque flexion.
Enfin, je pense que cette première flexion (photo 1) n’est pas à entreprendre, initialement, avec les chevaux à l’encolure mal orientée.

Photo 6

Photo 7
Sur les photos 6 et 7, on voit le travail de mobilisation de la mâchoire (flexion directe) ; ma main gauche maintient l’anneau du mors de filet en position neutre, sans agir vers le haut ou vers le bas ; ma main droite exerce un léger effet de levier sur le mors de bride, afin que le cheval entrouvre sa bouche (cession de mâchoire) ;
Le cheval ne doit en aucun cas ex écuter une flexion de nuque ; ce serait là le début de l’encapuchonnement ; voici le rôle de ma main gauche : interdire une modification du port de tête, la cession de mâchoire devant être totalement isolée.
Se souvenir que la flexion de mâchoire signifie « cession + déglutition », mais le cheval, dans ses débuts, ne donnera probablement que des cessions de mâchoire.
La photo 8 montre l’exercice de l’autre côté.

Photo 8

Photo 9

Photo 10
La photo 9 montre une flexion latérale de l’encolure, dresseur placé sur le côté extérieur au pli, et la photo 10 une légère flexion latérale de la nuque (flexion oblique de nuque obtenue par effet de levier sur le mors de bride.)
Il convient de noter que la ligne des oreilles reste horizontale, ce qui est le point essentiel ; toute inclinaison de cette ligne des oreilles suggère une amorce de défense, laquelle conduit à l’encapuchonnement.
Le cheval correctement amené dans ces flexions, c'est-à-dire sans traction de la rêne vers l’arrière, et, surtout, en ayant préalablement été décontracté dans le travail direct, va rester de lui-même quelques secondes plié dans la descente des aides, avant de descendre son encolure dans l’axe, signe de flexions réussies et complètes (photo 11.)

Photo 11
Le pli de l’encolure doit rester modeste, sauf dans quelques cas particuliers (frein à main ostéopathique notamment)

Photo 12
La photo 12 montre une flexion latérale poussée à son paroxysme ; ma main gauche tient la rêne de filet en soutien, afin d’éviter que le cheval n’incline la ligne des oreilles. Maestro était un cheval incapable de tendre sa rêne gauche avant les flexions.

Photo 13
La photo 13 montre le montage de la « flexion impulsive » si bien décrite par JC RACINET. Cette flexion est essentielle, parce qu’elle apprend au cheval à se porter en avant au moindre contact établi entre la main du cavalier et la bouche du cheval (lutte contre l’acculement sournois) ;
Lorsque je recule d’un pas, ma main tend la rêne passée dans l’anneau gauche du filet ; alors le cheval est soumis à une opposition entre deux forces ; la première est celle exercée vers l’arrière par la rêne qui agit sur l’anneau droit du filet, la deuxième est celle réalisée par cette même rêne, qui exerce une poussée vers le bas et vers l’avant en étant plaquée contre la nuque.
Il est remarquable de constater que le cheval, pris dans cette opposition, cherche toujours une solution ; s’il recule ou reporte sa masse vers l’arrière, l’opposition des forces s’accroit, puisque je ne bouge pas. En quelques secondes, il trouve le chemin de sortie : flexion de mâchoire, qui s’accompagne toujours, sans que j’en aie l’explication scientifique, d’un pas en avant ! Or, ce pas en avant détend la rêne et relâche l’opposition des forces, puisque je ne bouge pas.
Lorsqu’on réitère la flexion impulsive, on constate alors que dès l’opposition naissante des forces, le cheval ouvre légèrement la bouche et avance.
Je pense que cette flexion représente un préalable au rassembler, car le cheval répond désormais à la main en cédant et en avançant ; voilà qui nous protège de l’opposition de la main aux jambes, et on ne viole plus alors, dans la recherche du rassembler, le principe cher à BAUCHER, « main sans jambes, jambes sans main. »
On notera que la rêne appliquée sur la nuque (analogie à la rêne Colbert) empêche théoriquement tout risque de cession de la nuque, qui n’est pas recherchée ici et maintenant.
Si, malgré tout, un cheval donnait une cession de nuque en lieu et place d’une cession de mâchoire accompagnée d’un pas en avant, je pense qu’il conviendrait de cesser cet exercice sur le champ.
Cependant, je n’ai pas rencontré un tel cas. Il est vrai que j’ai utilisé la flexion impulsive sur une dizaine de chevaux, pas davantage.
Il me semble intéressant de rajouter qu’avec un cheval qui encense ou « porte au vent », il conviendra de placer la rêne à la base de l’encolure, et non à la nuque.

Photo 14
Le travail en place est suivi du travail à pied, dans le mouvement en avant, préalablement conquis, faut-il le répéter. Maestro est capable de véritables flexions de mâchoire en avançant, et qui plus est, à la main qu’il refusait absolument.
Photo 15
Début du travail des deux pistes, encolure sensiblement fléchie.
Le flash de l’appareil photo donne à Maestro un regard qui rappelle celui de Jean-Philippe.

Photo 15 bis
Le travail monté commence ; je vérifie que Maestro ne rejette ni le contact du mors de filet, ni celui du mors de bride. Cette procédure est validée par un abaissement de l’encolure. Le cheval accepte de suivre ma main (photo 15 ter)

Photo 15 ter
Les photos 16 et 17 montrent Maestro en flexion d’encolure, dans la descente des aides. La photo 18 présente une situation paroxysmique, il ne faut pas chercher à aller à 90°, sauf pour vérifier, comme c’est le cas ici, que toute résistance a vraiment été dépassée. Retour à l’extension d’encolure (photo 19), le cheval tire son encolure, il est décontracté.

Photo 16

Photo 17

Photo 18

Photo 19
Photo 20, je demande pour la première fois de la séance une flexion de nuque sur le mors de bride, après avoir au préalable cherché une flexion de mâchoire. Le cheval doit ramener légèrement son chanfrein ; je respecte strictement le « main sans jambes » cher à BEUDANT, et épie la moindre tentation du cheval de porter sa masse en arrière de ses aplombs. Je reprends les rênes du filet pour obtenir une extension d’encolure. (photo 21)

Photo 20

Photo 21
La photo 22 montre une flexion complète à gauche. Cette fois-ci, ma main droite exerce un contrôle sur le mors de bride, le chanfrein approche de la verticale par consentement du cheval, et non pas par traction en arrière. RAABE cherchait la mise en main, c'est-à-dire la décontraction de la mâchoire dans la position du ramener ; je ne la cherche pas, mais si elle vient, elle vient.

Photo 22
Le cheval a désormais la bouche fraîche. Sur une simple vibration de la rêne extérieure, le cheval donne sa bouche, les rênes détendues (photo 23.)

Photo 23
Alors, but final de l’exercice, je mets en avant, à main droite, la main de tous les efforts, et ce cheval très difficile se tend franchement, sans précipiter. (photo 24)

Photo 24
Avertissement :
Les flexions ne sont pas sans danger ; j’ai conservé pour la fin deux photos particulières. La photo 25 montre Maestro qui décide de passer derrière la main dans une flexion droite. Cet abus pourrait mener le cheval à l’encapuchonnement ; je corrige immédiatement par un contrôle net de la main extérieure au pli, en grondant le cheval d’un « non ! » puissant. De même, la photo 26 ne présente pas une flexion, le cheval est passé derrière la main, alors que je suis en descente d’aides. Il faut également corriger sur le champ.

Photo 25

Photo 26
On observe qu’un cheval peut se soustraire à la main sans que celle-ci soit active ; cependant, la faute est mienne, car j’ai sans doute amené Maestro à ses propres limites.
Les flexions ne s’obtiennent jamais par la force. La cession de mâchoire dans la flexion latérale de l’encolure est un critère de qualité, auquel il faut ajouter le maintien du cheval dans la position lorsqu’on descend les aides, ainsi qu’une recherche d’abaissement ou d’extension d’encolure par le cheval.
Dans les premiers temps, le cheval va chasser les hanches pour contrer l’exercice ; c’est un signe qu’on a déjà trop demandé par rapport aux capacités du moment. La conquête des hanches, postérieure au travail des flexions, relève de la gymnastique d’ensemble. On sera surpris de la disponibilité des hanches une fois le bout du devant éduqué. Il reste ensuite à relier les deux bouts.
La plus grave erreur, probablement, consiste à rechercher une flexion de la nuque alors que le cheval ferme résolument la bouche ; tous les grincements, tous les encensements, toutes les défenses peuvent être corrigés avec une bonne probabilité de réussite, sans porter atteinte à la légèreté, pourvu que le dresseur ait « une main insinuante » (BEUDANT), et qu’il observe son cheval.