La légèreté

"C'est elle qui donne à la fois à l'équitation savante, à la haute équitation, son véritable cachet, et à l'écuyer qui la pratique le caractère de son talent." Général L'Hotte


À l'époque où le cheval était « utile » à l'homme et, entre autres, lui servait à faire la guerre, la légèreté était une nécessité, car elle permettait au cavalier d'avoir un cheval maniable à souhait, tout en lui permettant de se consacrer à ses armes et à son ennemi. Actuellement, la légèreté est une philosophie, un art de vivre l'équitation.

Le mot « légèreté » caractérise ce qui est souple, agile, gracieux. La légèreté de la ballerine, la légèreté d’une étoffe… En équitation, le mot « légèreté » caractérise une manière de dialoguer avec son cheval. Il qualifie un cheval qui obéit aux aides de son cavalier sans peser à la main et aux jambes, sans leur opposer de résistance. Mais, il ne se résume pas qu’à cela ! Il veut dire beaucoup plus. Il traduit de la part du cavalier un sentiment beaucoup plus profond, un sentiment d’amour pour la belle équitation, d’amour et de respect pour le cheval. Nuno Oliveira a bien cerné cette dimension lorsqu’il écrit : « Ce que le professeur doit tout d'abord inculquer à ses élèves et bien leur mettre dans l'esprit, c'est l'amour du cheval. » (Notes sur l’enseignement). Pour moi, l’équitation idéale est celle où le cheval et son cavalier n’en font plus qu’un, qu’ils fusionnent tel le « centaure ». C’est aussi quand la confiance entre le cheval et son cavalier est telle que celui-ci n’a plus besoin que de penser pour être compris de son cheval. Mais, pour tendre vers cet état, du moins pour tendre vers cette fusion, notre équitation doit englober à la fois notre propre éducation et celle de notre cheval. Comme l’a écrit M. Henriquet dans La sagesse de l’Écuyer, on ne dresse pas un cheval, on l’instruit. À cela, j’ajouterai : on l’éduque. L’Équitation est un art, et l’art est l’expression d’un idéal d’esthétique, d’un sens de l’harmonie. L’Équitation ne peut donc se concevoir sans cette recherche esthétique, cette recherche de l’harmonie. Il ne faut jamais perdre de vue, comme l’a écrit  Nuno Oliveira, que : « l'art équestre est fait d'une quantité infinie de petits détails et du sentiment du cavalier ».

Pour définir la légèreté, je reprendrai, en la retournant, une définition de Xavier parue sur le forum : la légèreté, c’est l’utilisation par un cheval des seules forces utiles au mouvement, utilisation qui valide le juste emploi des aides physiques et morales de son cavalier. 


Catherine Henriquet au piaffer sur Orphée

1) Les termes à préciser :

Avant d'entreprendre mon exposé, j’aimerais préciser la définition d’un certain nombre de termes, tels mains fixes, contact, rênes ajustées, cheval tendu, rassembler qui portent souvent à confusion et que j'aimerais préciser.

a) La main fixe :

Une main fixe est une main qui ne bouge pas, ni par rapport aux mouvements du cavalier (au trot enlevé, par exemple), ni par rapport à la bouche du cheval. C'est donc une fixité relative puisqu'elle doit être mise en relation avec les mouvements de la bouche du cheval. Une main fixe est donc une main qui suit parfaitement les mouvements de la bouche du cheval, sans subir les répercussions des mouvements (volontaires ou non) du cavalier. Mais cette fixité ne peut s’entendre qu’avec une grande mobilité des doigts. Le pouce et l’index tiennent les rênes et en fixent la longueur, les trois autres doigts jouent sur la tension des rênes « convulsivement si nécessaire ».

Comment ne pas parler de la fixité de la main sans parler de la main fixe de Baucher ?

La main fixe de Baucher est une main qui ne recule pas quand le cheval cède. Si la cession du cheval est obtenue par une traction de la main, aussi minime soit-elle, le temps que le cavalier ressente la cession et réagisse en cédant lui-même, elle entraînera automatiquement un recul de la main du cavalier qui viendra inexorablement « heurter » la bouche du cheval. Ce recul inexorable est simplement dû au temps de latence inévitable entre la cession du cheval, le ressenti de la cession par le cavalier et la cession de main du cavalier. La contraction musculaire ayant permis au cavalier le recul de ses mains ne pouvant disparaître au moment exact de l'apparition de la cession du cheval. La cession du cheval sera donc « récompensée » par un choque du mors sur sa mâchoire inférieur... Ceci ne l'incitera guère à céder de nouveau.

C'est donc pour cela qu'il faut agir non pas par tractions sur les rênes, mais en serrant les doigts ponctuellement sur celles-ci.

 « … Alors prenant ma main et lui donnant la position de la main…, il dit : «Rappelez-vous bien, toujours ça », et il immobilisa ma main sous la pression de la sienne : « Jamais ça » et il rapprocha ma main de sa poitrine… » Général L’Hotte dans Un officier de cavalerie, Baucher mourant  s’adressant au général…

« On arrive, au contraire, à fixer la main en ne tirant pas du tout à soi, mais en serrant les doigts sur les rênes convulsivement si nécessaire, de façon à empêcher la main de se laisser attirer par une force quelconque, la bouche du cheval ou le poignet du cavalier. » Étienne Beudant dans Vallerine.

b) Le contact :

Avoir le contact avec la bouche de son cheval est souvent synonyme d'avoir les rênes continuellement tendues, continuellement en tension. Le dictionnaire donne entre autres comme définition du mot contact : « relation, liaison régulière entre personnes. ». Le contact est effectivement la relation qu’entretient la main du cavalier avec la bouche de son cheval. Mais, pour entretenir une relation avec quelqu'un, est-il nécessaire d'être en contact physique avec lui ? Certainement pas ! On peut parfaitement entretenir des relations par d'autres moyens que le contact physique direct par les rênes. La notion de contact est donc plus une notion de dialogue avec la bouche de son cheval plutôt qu'une notion de rênes continuellement tendues et exerçant une continuelle tension. La notion de contact est indépendante de la longueur des rênes. Dès que le cavalier tient ses rênes, même s’il les tient les plus longues possible, il y a communication, il y a contact.

Beudant, dans Vallerine, selon moi, exprime bien cette notion de contact : « Tout est opposition ou nuance, sauf la compréhension du cheval lequel ne se trompe jamais. Il obéit à ce qui lui est réellement demandé, ce qui n'est pas toujours, tant s'en faut, ce que le cavalier désire obtenir... ». Le cheval est un animal plein de bonne volonté. S’il s’énerve, refuse, c’est, dans la plupart des cas, qu’il n’a pas compris, que le message lui a été mal transmis. À partir du moment où les messages transmis, murmurés par les aides du cavalier, sont clairs, sans équivoque, le cheval répondra en restant décontracté et léger. Il y mettra de la bonne volonté.

c) Les rênes ajustées :

Des rênes ajustées sont des rênes qui ont la juste longueur, la bonne longueur qui vous permet d'établir le contact dans l’attitude  de travail souhaitée pour votre cheval. Ce contact sera fait de moments de transmissions de messages, moments pendant lesquels les doigts se fermeront sur les rênes, et de moments où les communicants n'auront rien à se dire et cesseront leur communication. Les doigts s’ouvriront alors sur les rênes, sans que le contact soit pour autant rompu, ainsi que l’a défini le Docteur Pradier dans Mécanique équestre et équitation : « Le contact qui se dérobe sans se rompre jamais ». Quelle peut être la bonne longueur de ces rênes ? Supposons un cheval se déplaçant dans son allure naturelle, dynamique et impulsive. Vos rênes sont à la bonne longueur si, ayant les coudes au corps, sans avoir à déplacer votre main, la fermeture de vos doigts permet de prendre le contact physique avec la bouche de votre cheval pour lui transmettre le message, et que l'ouverture de vos doigts permet de cesser cette communication par des rênes qui se détendent légèrement. Michel Henriquet parle de rênes qui « respirent », c'est-à-dire qu’elles vont régulièrement se tendre pour transmettre un message, une demande, et aussitôt se détendre pour cesser d'agir.

Je vais faire ici un lien entre la notion de main fixe et la notion de rêne ajustée : la notion de rênes ajustées, coudes au corps, doigts liants, ne sentant que pour un cheval qui a fixé sa nuque. Pour un cheval moins avancé dans son travail, dont le chanfrein se balade au gré des oscillations de l'encolure, les coudes ne peuvent être au corps. La décontraction des épaules du cavalier doit permettre à la main de suivre ces oscillations. La main doit rester fixe par rapport à la bouche du cheval.


Un élève de M. Henriquet au galop sur Paradises, âgé de 5 ans.


d) Le cheval tendu :

Il y a quelque temps, lorsque que j’animais un stage dans un centre équestre, j'ai observé une cavalière qui, dès le début de sa leçon, mettait les éperons dans les flancs de son cheval tout en fermant les doigts sur des rênes tendues. À la question : « Que faites-vous madame ? », elle m'a répondu : « Je tends mon cheval... ». Il m'a donc fallu redéfinir cette notion. La tension est à la fois un état physique et un état mental. Nous pouvons dire que la tension du cheval est l’expression physique de sa disposition psychique.

  1. Disposition psychique : cette disposition psychique se résume en un mot : impulsion ! Dans sa définition officielle, l'impulsion est le désir naturel ou "acquis" qu'a le cheval de se porter en avant. Effectivement, l'impulsion peut s'acquérir par le travail. Mais, je pense que le dressage est une discipline aussi ingrate pour le cheval que pour le cavalier. La répétition des exercices, jour après jour, semaine après semaine, année après année, risque d'amener une lassitude de la part du cheval, surtout si naturellement celui-ci n'est pas en avant, n'a pas d'impulsion. Certes, par la variété du travail, par des sorties en extérieur, vous éviterez la routine dans votre travail, la lassitude de votre cheval. Mais, dans le choix de votre futur cheval, je pense que cette qualité qu'est l'impulsion est primordiale. Entre un modèle parfait sans impulsion et un cheval plus commun, mais débordant d'énergie, mon choix sera vite fait !

    L'impulsion, "c'est le vent qui souffle dans les voiles du navire." "Il en est de l'impulsion comme de la vapeur : le cavalier tient dans la main la soupape de la chaudière, et il laisse échapper plus ou moins la vapeur qui doit se présenter d'une manière constante." Comte D'Aure

  2. L’expression physique : le cheval décontracté et léger se déplace en gardant toute son énergie, en étant dans l’équilibre et la légèreté que son degré de dressage lui permet de conserver. Il sera donc allant, à la fois tonique, mais décontracté, disponible aux moindres sollicitations des aides du cavalier, dans la limite évidemment de son degré d’instruction. La tige vertébrale se tend à la façon d'un arc parce que les postérieurs poussent sous la masse, s’engagent, pour transmettre l'impulsion (énergie, désir de se porter en avant) à l'avant-main. Celle-ci s'allège et devient plus mobile. Cette notion de tension du cheval est une notion évolutive. Plus le cheval avancera dans son travail et plus il aura acquis les moyens physiques et moraux de se tendre. Nous pouvons considérer que le degré de tension maximum du cheval est le rassembler que je vais définir ci-dessous.

    "Un cheval ne se tend pas sur la main (contre la main - ndlr), mais sur lui-même." Michel Henriquet lors d'une conversation privée

Dans tout ce travail, le cavalier doit veiller à avoir une position la plus irréprochable possible. Son assiette doit être profonde mais légère, un dos vibrant, tonique... Pour plus de détails, je vous renvoie à l'article sur la mise en selle.

Ces notions de mains fixes, de contact, de rênes ajustées, de cheval tendu m’amènent à une remarque. Il arrive régulièrement que des élèves me disent : « Je n’ai pratiquement rien fait et cela a marché… » Et ma réponse est invariablement la même : « Dans ce cas, c’est que tu as bien fait ! ». Effectivement, il est indispensable, comme l’écrivait Nuno Oliveira, d’ « obtenir sans force » l’adhésion du cheval. Un cheval léger, décontracté, est capable de répondre aux indications murmurées par son cavalier.

e) Descentes de main et de jambes :

Dans l'idéal, le cheval doit conserver de lui-même l'attitude que lui a donnée son cavalier. Il doit continuer de lui-même l'exercice dans lequel son cavalier l'a mis. Et ceci, tant que le cavalier ne modifie pas l'un ou l'autre. Pour cela, le cavalier doit le plus possible ne plus agir avec ses aides, ses actions ne devant intervenir que pour contrôler ou modifier l'exercice ou le mouvement. Au début, les interventions seront fréquentes. Mais, plus le cheval avancera dans son travail, plus ses interventions pourront, devront s'espacer. Le fait de taire ses aides, main, jambes, assiette, entre chaque action s'appelle "faire une descente d'aide". Quand ce sont les mains qui cessent d'agir, nous parlons de" descente de main" ; quand ce sont les jambes, nous parlons de "descente de jambes" ; quand c'est l'assiette, nous parlons de "descente d'assiette".

f) Le rassembler :

Le rassembler, défini par Michel Henriquet comme étant l’ « équilibre royal », est le degré d’équilibre suprême que peut atteindre le couple cavalier-cheval, équilibre plus ou moins modifié par le poids du cavalier. Dans cet équilibre, le report de poids vers les postérieurs est maximum. Le rassembler résulte de l’abaissement des hanches, conséquence d'une augmentation de l'engagement des postérieurs, les articulations se pliant souplement sous la masse. Ce report de poids vers l’arrière permet à l’avant main de s’alléger et de devenir plus mobile. La meilleure image que l’on puisse donner du rassembler est celle du félin qui va bondir sur sa proie. Le rassembler est un état physique du cheval, mais également un état mental. Il « permet la répartition à volonté du poids et des forces entre l’avant et l’arrière-main. » (Michel Henriquet dans Gymnase et Dressage). Un cheval rassemblé devient capable, à la moindre sollicitation de son cavalier, de varier l’amplitude de ses foulées, de se mobiliser dans toutes les directions. Dans Vallerine, Etienne Beudant considère que le ramener du cheval n’est pas indispensable, mais qu’il lui donne toute sa splendeur.

Chaque cheval a son propre degré de rassembler, en fonction de sa morphologie, de ses aptitudes. Encore une fois, c’est au cavalier de sentir jusqu’où aller sans dépasser les limites de son cheval. Et, comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises, la décontraction du cheval me semble encore une fois un excellent indicateur.

Là aussi, si nous parlons de rassembler du cheval, il faudrait également parler de « rassembler » du cavalier. Son assiette est profonde et tendu vers l’avant ; sa nuque est tendue vers le haut et légèrement vers l’arrière. Il serait illusoire de penser que la position du cavalier n’a pas de répercutions sur l’attitude de son cheval.

Toutes ces notions ne peuvent s’entendre qu’avec un cheval qui est confiant et décontracté. Cette décontraction, comme je l’ai souvent indiqué doit être un préalable indispensable, mais également un signal que le cavalier ne doit jamais perdre de vue. Tout signe de contraction doit être traduit par le cavalier comme un message que son cheval lui envoie : « Attention, tu commences à aller trop loin… ». La communication n’est réellement établie que lorsque la bouche du cheval est décontractée. On peut alors considérer que la légèreté requiert deux choses : l’équilibre du cheval et la mobilité de la mâchoire.  

Toutes ces notions ne peuvent s’entendre qu’avec un cheval qui est dans le mouvement en avant, l’impulsion étant la première qualité d’un cheval. En effet, un cheval « ordinaire » qui a le désir de se porter en avant compensera naturellement ses imperfections physiques par l’énergie qu’il déploie, alors que le plus beau cheval du monde, s’il n’a pas d’énergie, s’il n’a pas ce désir de se porter en avant, ne sera même pas forcément un bon cheval d’extérieur. Le rassembler découle d’ailleurs de ce désir de se porter en avant, dans la décontraction et le meilleur équilibre possible. La remise en équilibre, le report de poids vers l’arrière ne peut s’envisager que si les postérieurs sont actifs.


Michel Henriquet au passage sur Fandango

 

2) La légèreté :

Ces précisions étant faites, je vais donc essayer de définir la notion, les notions de légèreté. Car, en fait, il y a deux sortes de légèretés : l’une que je qualifierai de relative et qui concerne plutôt le cheval ; l'autre que je qualifierai d'absolue, qui est relative au cavalier.

a)   La légèreté relative du cheval :

Pourquoi ai-je utilisé l'adjectif qualificatif « relative » ? Parce que la légèreté du cheval monté est avant tout fonction du cavalier qui le monte. Nous pouvons donc écrire que la légèreté du cheval doit être absolue à chaque instant de son dressage, à condition que les exigences du cavalier soient proportionnelles au degré d'avancement dans le travail de sa monture. Dans son équilibre naturel, le cheval porte plus de poids sur l’avant main que sur l’arrière main. Il a donc plus de poids, plus de pouvoir, sur les épaules que sur les hanches. Pour plus d'explications, je vous renvoie à l'article sur les assouplissements. C'est par le travail et, entre autres, par les assouplissements longitudinaux que nous allons remettre le cheval dans un équilibre sur les hanches. Et c'est ce report de poids sur les hanches qui permettra au cavalier d'avoir un cheval maniable, c'est-à-dire un cheval qui pourra accélérer et ralentir, tourner d'un côté et de l'autre avec aisance et économie d'aide pour le cavalier. Bien entendu, j’insiste à nouveau, tout ce travail n’a d’intérêt que s’il est fait dans le respect de la décontraction du cheval.

La légèreté se reconnait donc à l'absence de résistance aux effets du mors. Deux formes de résistances peuvent apparaître chez le cheval : les résistances de poids et les résistances de force. Les résistances de poids sont la conséquence d'un déséquilibre du cheval sur les épaules. Elles se combattent par des demi-arrêts. Si ceux-ci sont inefficaces, il sera nécessaire d'aller jusqu'à l'arrêt complet (décomposition de la force et du mouvement). Les résistances de forces sont la conséquence de contractions au niveau de la mâchoire inférieure. Elles se combattent par des « points fixes - cessions », fermetures franches, mais ponctuelles des doigts sur les rênes, aussitôt suivies de cession de l'action, sortes de frémissements imprimés par la main au mors du côté de la résistance.

La légèreté permet au cheval de répondre à la moindre sollicitation des aides du cavalier, à condition que ses demandes soient adaptées aux capacités de son cheval. Si le travail est bien mené, le cheval va se développer progressivement, et progressivement, le cavalier pourra devenir plus exigeant dans le travail demandé. Le cheval étant physiquement et mentalement apte à accepter ce travail, il continuera de répondre à la moindre sollicitation des aides de son cavalier. Toute la difficulté consistera donc pour le cavalier à mesurer jusqu'où il pourra aller et à quel moment le cheval aura atteint les limites de ses capacités. Comme je l’ai expliqué en précisant le terme « rassembler », chaque cheval a son propre degré de rassembler. Il ne faut donc pas rechercher le même rassembler pour tous les chevaux que nous travaillons. Vous comprenez aisément que cette légèreté relative du cheval est directement reliée à la manière de monter de son cavalier. Je me souviens d'un merveilleux petit cheval, Miguelista que j'ai eu l'occasion de monter régulièrement chez Michel Henriquet. Ce cheval m'a énormément appris. Il était d’une légèreté que je qualifierai ici d'absolue. Le moindre changement de pression dans la selle, la moindre modification de l'équilibre le faisait immédiatement réagir. C'est d'ailleurs ce qui le rendait très délicat à monter pour certains cavaliers manquant encore d'expérience et d’équilibre. Je me souviens d'un cavalier, à la fin de sa leçon, me disant d'un air étonné : « J'avais 100 kilos dans chaque rêne... ». La légèreté du cheval est donc directement liée à la manière de monter du cavalier, à sa propre légèreté dans l'utilisation de ses aides. Étienne Beudant dans Extérieur et haute-école, explique d'ailleurs ce rapport avec la bouche de sa jument Vallerine : « La sensibilité prodigieuse qu’elle présente (NDLR : la bouche de Vallerine) quand elle est influencée d’une centaine façon (NDLR : quand le cavalier agit avec tact et légèreté), tandis qu’elle résiste à une force extrême à une autre manière de faire (NDLR : quand la main est dure). »


Michel Henrqiuet au passage sur Miguelista

b)   La légèreté absolue du cavalier :

Afin d’acquérir une mise en selle, une position irréprochable, les élèves écuyers de l’École Espagnole de Vienne sont longés de nombreux mois (jusqu’à deux ans…) avant de pouvoir prétendre travailler un cheval. Il en était de même à l’école de Versailles, au XVIIIe siècle. L’équitation, telle qu’elle est pratiquée actuellement ne permet plus ce type d’approche. Cela se conçoit, certes, mais cela peut sembler regrettable si nous recherchons la perfection pour atteindre l’art équestre. La position est donc très importante puisqu’elle précède l’action. De la justesse de cette position dépendra la justesse de l’action. Le bipède que nous sommes utilise prioritairement ses pieds et ses mains. Si le cavalier que nous souhaitons tous devenir un jour veut s’affranchir de ses réflexes habituels de mains et de jambes, il lui faut pouvoir substituer à ceux-ci un dos, une assiette, un équilibre irréprochable. Le cavalier doit passer d’une équitation d’extrémités à une équitation centrée ! Son assiette, son dos ne doivent plus lui permettre de tenir à cheval, mais de tenir son cheval, de faire corps avec lui, de susciter et d’entretenir l’impulsion. J’ai souvent entendu des cavaliers montant mes chevaux me dire : « Tes chevaux ne répondent pas aux jambes… ». Et pourtant, quand je les monte, ils sont dynamiques ! C’est tout simplement parce que mon assiette remplace mes jambes. Je ne peux donc qu’inciter les cavaliers qui souhaitent approcher une équitation faite de finesse et de légèreté à travailler leur position, leur mise en selle. Mais, plus qu’une mise en selle qui permet de tenir à cheval, il s’agit d’une mise en selle dynamique qui leur permettra de mieux communiquer avec leur cheval. Je vous renvoie pour cela à l’article sur la mise en selle.

Si je reprends la définition de la légèreté que j’ai donnée en introduction : la légèreté, c’est l’utilisation par un cheval des seules forces utiles au mouvement, utilisation qui valide le juste emploi des aides physiques et morales de son cavalier, nous comprenons bien que la légèreté du cheval dépend principalement du juste emploi des aides du cavalier qui le monte. 
La légèreté nécessite donc le juste dosage des aides du cavalier. Elle nécessite également une action ponctuelle des aides. Toute action de main qui se prolonge entraîne une réaction d’appui de la part du cheval. L’action de main doit donc être ponctuelle (Monsieur Henriquet parle de « point fixe »), suivie, mais également précédée par une cession, une ouverture des doigts. L’expérience m’a prouvé que beaucoup de résistances du cheval sont vaincues par une simple ouverture des doigts. L’exemple que je prends souvent pour illustrer mes propos est le suivant : combien de fois voit-on des cavaliers arc-boutés sur leurs rênes, cherchant vainement à arrêter leur cheval. Après une longue lutte infructueuse, désespérant de pouvoir y arriver et épuisés par le combat, ils lâchent les rênes. Et là, enfin débarrassé de cette main qui tire, le cheval s’arrête…

Il en va de même pour les actions de jambes. J’ai toujours trouvé cette réaction stupide de la part d’enseignants de dire : « tu manques de jambes… ». Ce n’est pas le cavalier qui manque de jambes, mais c’est le cheval qui n’est pas éduqué à répondre au souffle de la botte. Dans la plupart des clubs, au lieu d’interdire bêtement l’utilisation de la cravache, on devrait plutôt apprendre aux cavaliers à s’en servir. Car c’est par le judicieux emploi de celle-ci que le cheval apprendra à respecter le moindre effleurement de la jambe du cavalier.


Nuno Oliveira au piaffer sur Euclide

Tous les chevaux ne naissent pas avec la même finesse, la même sensibilité. Mais je suis persuadé que monté avec tact et délicatesse, tout cheval peut devenir léger. C’est le cavalier qui est responsable du développement de la sensibilité, de la légèreté de son cheval. Lui seul pourra faire du plus doué d’entre eux un horrible « tracteur » et du moins doué, du plus lourd, un cheval agréable, léger à monter.

Quand je demande à un élève de faire une épaule en dedans sur une diagonale, j’insiste très souvent sur le fait qu’il doit par une action juste de ses aides mettre le cheval dans l’exercice et, dès que ce dernier a entamé ses premiers pas, ne plus agir, se mettre en descente de mains, de jambes, d’assiette. Bien sûr, au début de l’apprentissage, les aides devront très régulièrement venir corriger l’attitude du cheval. Mais, rapidement, le cheval ayant assimilé l’exercice, les interventions se feront de plus en plus espacées pour finir par pratiquement disparaître.

La légèreté est donc un état découlant du respect total du cheval aux mains et aux jambes du cavalier, ce respect ne pouvant qu’être la conséquence du respect total, de l’amour que le cavalier porte à sa monture. La légèreté est pour le cavalier un indice révélateur et infaillible de l'équilibre de son cheval. Tant qu'elle subsiste, le cheval est en équilibre.

« Légèreté »… Comment définir ce terme, cette notion, cet idéal en un article alors que bien des Écuyers ont consacré leur vie d’équitation à la recherche de ce degré de communication suprême avec le cheval. Cet article ne peut donc couvrir entièrement un tel sujet… Mais j’espère qu’il amènera la cavalière, le cavalier à réfléchir sur les causes de ses actions avant d’agir et sur les conséquences de ses actes. J’espère qu’à la lecture de cet article, si ce n’est pas déjà fait, la cavalière, le cavalier ne verra plus son cheval comme un animal à dresser mais comme un être vivant, doué d'intelligence, de sensibilité, un être à éduquer et à instruire…

« La légèreté, oui, même si j'estime ce mot insuffisant pour décrire d'une manière générale les rapports entre l'homme et le cheval, animal doué d'une sensibilité extrême. » Jacques Mazars